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Aurélia Agel, le goût du risque 

L’académie des Oscars l’a annoncée début avril : une statuette pour récompenser les cascadeurs devrait arriver à l’horizon 2028. Un coup de projecteur pour le monde de la doublure, à l’ombre des vedettes face caméras. À 27 ans, Aurélia Agel est l’étoile montante de cette discipline à risque. Un rêve pour lequel elle est prête à tout sacrifier.

Par Alice Sacco 
Publié le 5 mai 2025
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Aurélia Agel en entrainement pieds/poings à Montréal, le 2 octobre 2024 / JUSTIN COWELL

Ce soir, Aurélia se couche tôt, et pour cause: demain à cinq heures, elle a rendez-vous sur le plateau du prochain film Avengers. Depuis le canapé crème de son appartement de location londonien, elle souffle enfin: “La semaine dernière j’étais en Hongrie, le mois prochain peut-être au Portugal. En tout cas, à l’heure qu’il est, je n’ai pas de domicile fixe”.

 

La jeune femme à l’habitude d’être appelée au quatre coins du monde, une liberté exigée par “sa passion”, son métier de cascadeuse. Avec plus de 30 films à son actif dont des cartons du box-office comme Black Widow (2016), Fast and Furious X (2023) ou Les Gardiens de la Galaxie vol.3 (2023), elle est devenue une figure incontournable de la cascade Hollywoodienne, où les grosses productions lui font désormais les yeux doux.

Diamant brut

Loin du rêve américain, Aurélia grandit à Cahors dans le Lot. Fille cadette d’une infirmière et d’un professeur de SES, ils l’inscrivent à un cours de judo pour ses six ans. “C’est excellent pour la psychomotricité des enfants, explique V alérie, la mère, ceinture noire 2e dan. Dans la famille, tout se joue sur le tatami”. Son père est lui passionné de karaté, et initie la famille à Bruce Lee et Jackie Chan. Rapidement, Aurélia choisit ses combats, et ne cite pas l’écoleparmi ses priorités. Malgré les tentatives de ses professeurs de lui faire intégrer des études générales, elle n’a qu’un rêve : devenir chef cuisinière.

“J’avais soif de travailler et c’était une voie très professionnalisante”, explique-t-elle

aujourd’hui. Inscrite à un CAP Pâtisserie, elle reçoit le soutien de ses parents qui lui

inculquent leur mantra : “Quand on commence quelque chose, on le fait jusqu’au bout”, pose Valérie. Mais le rythme soutenu et l’exigence de la formation ne lui conviennent pas. Elle quitte le CAP en cours de route et devient vendeuse dans une boutique d’équipement sportif à Toulouse, par défaut. Le père, François-Nicolas, se rappelle alors qu’Aurélia avait mentionné voilà des années son envie de rentrer au Campus Univers Cascade, un centre de formation dédié à la cascade de cinéma, dont le coût dépassait alors les moyens de la famille. Cette fois, il casse sa tirelire.

“Je l’ai tout de suite remarqué, remet le coach Jérôme Gaspard, aussi doublure de Ryan Reynolds, Vincent Cassel et Thierry Lhermitte. La plupart des jeunes qui se lancent dans la cascade rêvent d’être héros de film d'action. Aurélia ne cherchait pas les projecteurs. Elle aimait se battre, tout simplement”. Présent par hasard le jour de la formation, il la recontacte six mois plus tard pour assurer en urgence la doublure du mannequin Sasha Luss sur le film Anna de Luc Besson (2019). Du jour au lendemain, la cadurcienne de 17 ans quitte son appartement, son job et sa vie toulousaine pour gagner Paris. “J’avais envie de réussir, raconte-t-elle, je voyais mes parents en difficulté et je voulais que ça s’arrête.” Le tournage est un succès, les rôles s’enchaînent.

Jalousie et côtes cassées

Aujourd’hui, Aurélia a 27 ans et ne décélère pas. “La réussite, ça se mesure sur la

longueur”, glisse-t-elle. Mariée au cascadeur Justin Howell avec qui elle collabore, le combat est indissociable de sa vie privée, et le repos de plus en plus difficile à trouver. “Le milieu est tellement compétitif, j’ai développé beaucoup d’anxiété au fil des années”, avoue-t-elle. 

 

Entre jalousies, coups bas et harcèlement, les cascadeurs n’échappent pas aux sombres réalités du cinéma, et surtout pas l’ex-championne de France de karaté: “J’ai subi des violences verbales à caractère sexuel, comme beaucoup d’autres. Mais j’étais trop jeune pour répondre, je me contentais de rire. Entre cascadeurs on n’en parlait pas. Et avec mes parents non plus”.

 

Valérie, cadre dans une association spécialisée en santé mentale, se dit pourtant consciente du milieu dans lequel évolue sa fille, “mais je ne me serais jamais permise de la freiner dans ses ambitions, sinon elle m’aurait fait une clé de bras”, plaisante-t-elle. En dix ans de cascade professionnelle, Aurélia s’est cassée 2 doigts, 1 côtes, mais n’a jamais consulté de psychologue. “Pas besoin, dit-elle, c’est mon mari qui réussit le mieux à me calmer.”

 

La pression promet pourtant de s’intensifier. L’Académie des Oscars a annoncé début avril la création d’une statuette récompensant la meilleure doublure pour la cérémonie 2028. Une “victoire” pour la cascadeuse française, déjà nominée au Taurus World Stunt Award en 2022, et qui pourrait enfin voir tous ses efforts récompensés. Une histoire depatience inscrite dans ses gênes. Elle sourit: “Vous connaissez le nom de famille de ma mère? C’est ‘Perseverante’”. AS

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